Dans les récits visuels que je construis avec mes photographies et mes films,
il est question principalement de sujets féminins incarnant l’attente de l’autre. Les décors, aussi bien intérieurs qu’extérieurs, représentent des endroits qui sont des abris pour les personnages. Dans ces espaces où le temps est comme suspendu, ces derniers font face à l’isolement qui leur procure, dans un premier moment, une sensation de réconfort.
J’essaye de saisir leur présence avec exactitude, de leur porter une attention aussi sincère que possible. Photographier quelqu’un est pour moi un processus long, qui nécessite une recherche approfondie des qualités propres à chacun. Le choix
des personnes représentées dépend de la proximité psychique qui existe entre eux et moi, malgré la distance induite par l’utilisation de l’objectif. L’appareil, la mise en espace du sujet dans son environnement, me distinguent du personnage. Ce processus créatif peut être rapproché de la délicatesse, de la sensibilité à la lumière de la pellicule argentique qui impose un traitement particulier de l’image.
Le choix des endroits que j’évoque est inspiré par le fonctionnement de la mémoire qui est associative. Photographier le dehors est pour moi un acte fondé
sur la faculté du corps à exprimer l’indicible qui doit être tiré de l’oubli.
Ce qu’il s’agit pour moi de retranscrire, à travers les images, ce sont mes propres souvenirs, modifiés par l’amnésie mais renvoyant pourtant au concret du temps vécu. Le sens de ce qui est vu, le spectateur a à le construire.
Marta Skoczeń, 2020
Rédaction: Lara Al-Gubory
Comment matérialiser en image l’attente, l’isolement, la présence et son corollaire l’absence? Par une pratique conjointe de la vidéo et de la photographie, Marta Skoczeń tente de répondre à ces questionnements en dessinant avec poésie le récit de femmes contraintes entre quatre murs.
J’avais envie de montrer ce besoin de mouvement qui pousse à sortir de la dimension sécurisante que représentent nos intérieurs en allant au contact de la nature. Cela me fait penser aux peintures d’artistes femmes du XIXème siècle où l’on voit des sujets féminins s’adonner dans des lieux clos, à tous types d’activités comme la couture. C’étaient des espaces naturellement assignés aux femmes à cette période. C’est cette image de la femme enfermée de l’intérieur que je souhaite libérer symboliquement.
Des portraits psychologiques où les regards se font tour à tour pressants, fuyants, désillusionnés, lassés avec beaucoup d’intensité. Pour cela, l’artiste privilégie
le traitement à l’argentique, un médium qu’elle affectionne depuis son adolescence pour sa douceur, sa sensibilité à la lumière. Il y a ce fini naturel et évanescent que j’essaie de retranscrire dans mes photographies. Quand je travaille au numérique, je casse volontairement les contours qui sont bien trop nets et parfaits par nature. Ce qui me plaît c’est la délicatesse dans le traitement des couleurs propre à l’analogique confie-t-elle.
A travers ses vidéos, Marta Skoczeń a souhaité approfondir la thématique
de l’isolement déjà présente dans son oeuvre et que les conséquences de la pandémie ont renforcé. Un travail d’intuition où elle mêle passé-présent, dessins préparatoires, messages inconscients qui lui dictent des images dans une recherche continue mais aussi des textes qu’elle écrit et intègre au montage. Inspirée par les photographies
de Julia Margaret Cameron ou de Francesca Woodman, Marta reconstruit des souvenirs modifiés par le passage du temps en redonnant la voix à toutes les femmes.
Pauline Weber, Catalogue des diplômés, Beaux-Arts de Paris, 2021
Abri, DNSAP, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, atelier de Clément Cogitore, 2020
vues d’exposition © Jean-Baptiste Monteil